Malek Boukerchi a illuminé la journée des nombreuses personnes qui se sont connectées au webinaire qu’il animait sous l’égide de HEP EDUCATION, du réseau Compétences et Développement et du Club de l’Audace, le jeudi 28 mai dernier.
Ultra-marathonien de l’extrême et philo-conteur, Malek Boukerchi a partagé conseils et inspirations pour faire face à l’imprévu en cette période si particulière qui suit un confinement de plus de deux mois. Une heure fut un temps trop court pour qu’il puisse à la fois achever sa narration et répondre aux nombreuses questions posées par les participants durant son intervention. Alors chose promise, chose due, Malek s’est plié à l’exercice et poursuit l’échange… par l’écrit.

Lorsque l’on entreprend une épreuve d’une longue durée, souvent le mental faibli et le corps est très fatigué à l’approche de l’arrivée. Comment fait-on pour aller chercher au plus profond de nous la force d’aller au bout de notre épreuve ?

Un adage d’ultra face au corps défaillant, au mental friable : parler à sa tête, ses pieds, son cœur et leurs dire : « si tu m’aimes, suis moi ! ». Car c’’est dans les épreuves qu’on fait ses preuves. Et la victoire, l’accomplissement, la réussite résident non dans la performance, mais dans cet épanouissement d’avoir donné le maximum… Et ce qui fait la beauté de l’épreuve délicate, du difficile qu’est aussi la vie en général, d’un rêve, de toute espérance lucide qui se veut aussi bien un voyage intérieur qu’extérieur, c’est notre capacité à se laisser aller à tous les possibles de découverte pour nourrir notre élan, notre allant vital, d’être disponible dans une attente active exquise d’engagement….
Croire, rêver, c’est de la folie en ces temps de rationalité contrôlée, mais croire en son potentiel, en ses projets, en sa destinée, c’est aussi le grain de folie lucide libérateur de tous les possibles. Tenir, ne rien lâcher parce que votre projet, votre course fait sens… Alors fondamentalement, qu’est ce qui doit animer notre vie ? Le souffle de notre engagement et la générosité de notre présence…
Alors c’est vrai que le mental peut faiblir, tout comme le corps, il s’agit alors de se raccrocher à notre « why », à la raison d’être qui vous a amené à être dans telle ou telle situation, à évacuer les pensées négatives en toute lucidité, à se focaliser sur le bienfondé de l’action pour transcender les peurs et s’arracher joyeusement… surtout lorsque la fin est proche, la délivrance se précise…
En guise de propos d’étapes…

Une parabole amérindienne dite « les 2 loups » peut nous donner à sentir, à tâter autrement en synthèse de ce que j’évoque car les histoires m’animent et me guident et me portent dans mes traversées, les contes, ces errants millénaires qui respirent et transpirent au-delà des sons l’essentiel inaperçu, permettent de nous éclairer autrement :

Un vieil homme Cherokee apprenait la vie à son petit-fils.
– Un combat a lieu à l’intérieur de moi, disait-il au garçon, un combat terrible entre deux loups.
L’un est mauvais : il est colère, envie, chagrin, regret, avidité, arrogance, apitoiement sur soi-même, culpabilité, ressentiment, infériorité, peurs et angoisses, mensonges, vanité, supériorité et ego.
L’autre est bon : il est joie, paix, amour, espoir, sérénité, humilité, bonté, bienveillance, empathie, générosité, vérité, compassion et foi, écho.
Et tu sais, le même combat a lieu en toi-même et à l’intérieur de tout le monde…

Le petit-fils réfléchit pendant une minute puis demanda à son grand-père :
– Ah bon ! Mais quel sera le loup qui vaincra ?
Le vieux Cherokee répondit simplement :
– Celui que tu nourris !

De quelle manière vous entretenez cet accueil de l’incertitude au quotidien, car comme le mental du sportif, je suppose que cela se travaille en permanence ?

Pour répondre à votre question, je vais faire un joyeux détour par une citation incarnée du poète des mots que j’affectionne tant, Paul Valéry et que je rejoins dans ses propos, moyen de reprendre votre mot clé du « travail » qui n’est pas un vilain mot… Bien au contraire, il s’agit de retrouver aujourd’hui et encore plus demain, le goût de l’effort, de la patience et de la persévérance (que nous mettons en œuvre dans l’ultra-marathon et que vous mettez en œuvre tous les jours) :

« Je travaille savamment, longuement avec des attentes infinies les moments les plus précieux, avec des choix jamais achevés, toujours renouvelés et réinventés ; avec mon oreille, avec ma vision, avec ma mémoire, avec mon ardeur, avec ma langueur… Je travaille mon travail… »

Alors oui, comme dormir est la meilleure façon de remercier le sommeil, et aimer la gratitude sérieuse, la plus belle envers l’amour, il s’agit d’enlacer l’incertitude, une donnée permanente de nos vies (grandir est incertain, aimer est incertain, et cela se passe malgré tout car on y va). Enlacer l’incertitude pour qu’elle cède, non en force mais par la grâce de la confiance en ce que nous faisons… Alors oui, tout est état d’esprit, tout est travail et regard de perspective.
N’oublions pas : ce que nous appelons incertitude, appelons-le « étonnement » ; et votre regard changera, il me semble… Car la vie, cette énigme du quotidien dans son imprévisibilité permanente, il s’agit de l’aimer, de lutter en sa faveur, de croire en elle et surtout… de s’étonner, de s’émerveiller pour accueillir l’inédit, l’ineffable, l’insondable générant la joie de cheminer tout simplement.

Vivre, c’est fabriquer des premières fois… et c’est dans l’inaugural que nous sommes meilleurs…

Dans un monde devenu VICA, comment s’adapter à la complexité du monde ?

Autrement dit, comment nous tenons-nous face aux défis quotidiens de la vie ordinaire, face aux évènements et imprévus, face aux autres, face aux conditions extraordinaires que je peux connaître dans mes défis ultras, mais que nous connaissons tous dans l’ordinaire aussi de nos vies en proie à l’imprévisible permanent ?

S’adapter à la complexité du monde est d’abord un choix, une décision à assumer, à acter. Et tous les jours, vous le faites !
Face à la maladie, que faites-vous ? Il s’agit de s’adapter et d’adopter d’abord la juste posture. Pour guérir, il faut décider vouloir guérir et ensuite seulement, le chemin peut se faire, le traitement médico-chimique fera son œuvre si possible… Nombre de médecins nous alertent souvent : il faut vouloir guérir d’abord en son for intérieur face à l’insondable d’un mal qui touche toute personne.
Et quand vous décidez alors de ne pas tomber dans le fatalisme, de faire face, quand vous actez le choix de lutter pour, alors le labyrinthe, le chemin, le défi du sens et des sens se met en place…
Quand vous vous engagez pour une vie à deux par exemple, quelle incertitude et quelle complexité… et pourtant, on y va ! Avoir des enfants, éduquer, les faire grandir au mieux, quelle complexité et que d’incertitudes, et pourtant, on y va ! On pourrait multiplier les exemples de la vie à l’infini… la complexité et l’incertitude sont des éléments fondamentaux de nos vivres.

Alors comme disait Alain, « la clé de l’action, c’est d’y aller » !

D’y aller avec cette attention permanente de vigilance joyeuse… Dans nos civilisations de vitesse et d’urgence permanente où le temps est devenu contrainte, l’attention est une pause à ce que nous faisons, à ce que nous vivons, à ce que nous écoutons, à ce que nous partageons… Tout est question de position mais surtout aussi de disposition, d’état d’esprit, de regard.
S’adapter est un choix, une attitude, une envie de croire aux possibles, une décision ferme et tenace.

Car vivre, c’est décider ! Décider, c’est agir ! Et savoir décider, c’est savoir-être heureux, car « les gens dorment bien à l’auberge de la décision » comme nous l’enseigne un adage ancien des temps perses…

S’adapter, c’est croire en soi toujours et encore ! Tout homme, toute femme, bref tout être est fait de choix et de circonstances : personne n’a de pouvoir sur les circonstances extérieurs (comme on l’a vécu avec le Covid par exemple de manière magistrale) mais chacun en a sur ses choix personnels pour faire face et se transformer… Car souvent, c’est la qualité de nos choix qui font la qualité de notre destinée face à un monde dit VICA…
Et comme dit Anatole France, “c’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore”… : nous avons besoin que d’une chose pour grandir en âge, en sagesse, en sérénité, en épanouissement face à la complexité de nos mondes : CONFIANCE ! Elle est la clé de tous les succès et de tous les défis ! La confiance se pose quand tout est surtout incertain, complexe ; car quand tout va bien, la question de la confiance est moindre… Mais alors, quelles sont les arcanes opérationnelles et anthropologiques de la confiance, voilà un autre sujet passionnant, voilà une autre histoire à narrer…

Quelle est votre prochaine audace ? Votre prochaine course ou votre prochain challenge ?

Il y a toujours plein de rêves, de projets multiples dans les prochaines années, en solo, en équipe et en mode organisationnel.
Car sans rêves, sans audaces, comme l’oiseau sans ailes, nous tombons…
Alors…
Il y a un grand rêve fou qui me porte. Je ne sais pas encore comment faire, avec qui, comment mobiliser les énergies considérables mais j’y travaille (comme dans tous mes autres défis mais là, changement de registre encore). Et il va falloir beaucoup de patience et de rêveurs partenaires fous pour tenter l’impossible dans un ou plutôt deux ans si possible, vu la situation « KO-vidée » qui complique les aspects logistiques.
Mais comme disait Mark Twain : « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait »…
Alors j’ambitionne avec énergie et modestie de tenter de traverser le continent africain, une traversée intégrale sur son épine dorsale mouvementée Sud-Nord : une course du Cap à Alger au nom de la Fraternité et de la Sororité, au nom de nos Humanités reconciliées.
Avec jambes, cœurs et têtes (car je vais m’entourer d’une équipe de fous rêveurs, tous bienvenues pour cette épopée d’un genre nouveau), c’est relever quatre défis imbriqués les uns et les autres, dans une solidarité organique :
1. Défis physiologiques du corps transpirant : courir un marathon par jour les matins entre 5h et 13h30. Soit en tout, pour avaler les 12 000 km près de 8 mois de traversée en mode partage running solidaire !

2. Défis pratiques du cœur aspirant : faire courir les Africains en mode « Forrest Gump » pour partir à la découverte de leur propre pays : « runneristes » (runners-coureurs ou marcheurs + touristes) de tous les pays d’Afrique et du monde, unissons-nous !

3. Défis pédagogiques de l’esprit narratif inspirant : rencontrer les écoles, au gré de nos pérégrinations journalières, les acteurs citoyens des pays en mode narration et partage sur les enjeux de nos transitions écologiques passant par nos temporalités réelles.

4. Défis des sens/essences des liens respirants : courir pour sentir que nos pas sont solidaires sur une même terre de cœur et d’esprit. C’est vouloir/oser restaurer comme un chef d’œuvre en péril, nos fraternités-sororités retrouvées !

Pour quelles raisons n’êtes-vous pas devenu marathonien professionnel ?

Malek Boukerchi : Il y aurait tant à narrer à ce sujet, sur mon parcours de l’enfance à aujourd’hui… car la vie est faite de trajectoires improbables, et de rencontres tout aussi improbables qui viennent créer des bifurcations heureuses (ou non…)

Aussi curieux que cela puisse paraître, la question ne m’est jamais venu à l’esprit… pourquoi ?
Pour faire court, car j’aurai préféré la narration orale… mais hélas, nous avons été pris de court et le distanciel a ses avantages et ses limites par rapport à du présentiel… J’ai démarré cette pratique de l’ultra-marathon des extrêmes, après bien d’autres sports surtout collectifs, il y a environ un peu plus de 15 ans…
Et à l’époque, lorsque je décide, suite à diverses rencontres, à basculer dans la traversée des endroits les plus improbables, ayant dépassé la trentaine, ne venant pas de l’univers classique cursus du sport, je n’étais pas dans « les canons » de la professionnalisation, et j’étais déjà un « vieux » car à 30 ans dépassé (même si la course à pied est un des rares sports où l’on peut se bonifier avec le temps car l’endurance prime ensuite sur la résistance)… Mais pas une seule fois, la question de la professionnalisation m’a titillé l’esprit car je cours pour le plaisir des rencontres, le plaisir de la découverte, animé par la liberté du rêve, la folle grandeur des espérances, l’admirable combat de l’impossible, et le goût persistant de la beauté…

Donc un état d’esprit qui dénote aujourd’hui surtout dans cet univers aussi souvent phagocyté par la performance brute, par le désir d’aller vite, toujours plus fort.
Or je suis un « runneriste » me concernant, aucun enjeu de temps, juste le fameux mot d’ordre typique anglo-saxon – « enjoy it »-, juste finir car règle de base me concernant : finir, c’est réussir et inversement ! Et comme dans tout projet de vie, c’est savoir tenir, aller au bout de ses défis !
Passer pro aurait, me semble-t-il, sous-entendu une autre quête, celle du chrono (je le vois avec tous les pros-potes que je côtoie et qui sont redevables forcément de leurs sponsors) et du « ranking ». Et ainsi, ils sont pris par la pression de l’objectif, la pression de se surpasser de manière souvent hélas non autorisé (alors que je suis détaché de cette autre pression) ; et ils ne peuvent pas prendre ce temps heureux me concernant, dans l’immensité des déserts, de s’arrêter et de passer la nuit avec les nomades que l’on croise…

Je suis en conséquence, grande chance, libre de mes agissements et de mes stratégies d’orientation de course. Je peux cultiver l’allégresse des paysages contemplatifs et des visages méditatifs pour nourrir ensuite mes récits autrement et alimenter les vertus d’engagement structurant nos rapports sociaux.

Car je désire juste tout simplement finir dans les temps impartis (bon, cela me joue beaucoup de tours et de détours, de surprises et sacrément d’efforts…)

Alors de par mes études effectuées, je me nourris de mes diverses autres identités multiples, elles professionnelles, qui sont en retour alimentées par ma pratique incarnée de l’ultramarathon des extrêmes. Et le tour est joué ! Sans être un pro pour courir, je m’entraîne comme un pro, il y a une exigence et une discipline sans failles mais je (me) réalise la joie de rassembler autrement mes rêves, mes histoires, mes élans, mes murmures d’absolu d’immensités autres…

Enfin, par ailleurs, pour être dans l’intégrité des dires encore, dans ma jeunesse, le sport n’était pas dans la lignée éducative reçue par mes parents, analphabètes certes mais riches de cœurs et de vitalités d’espérances, qui croyaient plus aux études (comme ils n’ont pu avoir la chance d’en faire), à l’école républicaine et qui m’ont poussé à croire aux vertus de l’intégration académique et l’apprentissage de la beauté de la langue française. Le sport, juste pour la sphère privée, les loisirs… ; et à mon époque, l’ultra, un univers quasi désert et inconnu me concernant…
Donc, comme expliqué en oralité, mieux vaut un amateur éclairé qu’un professionnel obscur et qu’entre nous, me concernant, c’est alors une grande fierté de pouvoir côtoyer cet univers qui me permet de grandir et de me découvrir toujours autrement. Quand je pars explorer l’insondable et l’ineffable, je sais que là-bas, un autre visage m’attend…
Et pro ou pas pro, « le succès de l’action appartient à celui/celle qui joint le maximum d’audace à un maximum de préparation » (E. Mounier)

Malek A. BOUKERCHI
Fondateur d’ARSYNOE C&T
Conférencier philo-conteur en I.R.I.S.
Anthropologie du lien social
Expert APM
Ambassa’acteur IFAG
“Guetteur-Tisseur de rêves”
Ultra-marathonien de l’extrême
Ecrivain-poète social